La rue est publique, pourquoi pas ses photos ?
Le Street View français débarque sur Cartes.app.
publié le , mis à jourLors des débuts du développement de Cartes, quelques recherches utilisateur ont été lancées sur les réseaux. La question était simple : pour quoi utilisez-vous Google Maps ?
Bien sûr, il y a l'habitude, le géant établi, voir même le monopole, car le moteur de recherche Google, qui met en avant son produit, est la porte d'entrée du Web pour 90 % des Français. Il y a les riches fiches des commerces, leurs horaires à jour et les avis des autres googlers.
Incontournable Street View
Mais un résultat plus étonnant du sondage, c'était la fréquence de la réponse "Street View" ! Cette marque de Google fut en effet l'une des révolutions qu'apporta Google Maps, débarquant en France via la trace du Tour de France 2008.
Rapidement, nous sommes nombreux à avoir pu faire coucou à la Google Car qui passait dans notre rue, avec ce sentiment partagé entre "je vais être célèbre" et "ma dégaine du dimanche va faire le tour de l'internet".
Bien sûr, ce n'est aucunement l'asphalte qui intéresse dans ces "vues de rue", mais ce qui la borde : le mot « rue » vient du latin ruga, signifiant « chemin bordé de maisons ». Ce sont les maisons, les appartements, les commerces aux pieds de ceux-ci, les parcs, les paysages qui font l'intérêt de Street View, qui nous offre une vue complémentaire aux cartes symboliques aussi essentielles que limitées en détails. Souvent, on a besoin d'y être, de nos yeux.
Voyager depuis son canapé
Est-ce que la rue de cet appartement en location m'inspire ? Ce restaurant a-t-il une terrasse ? Quel est l'état de la voie cyclable dans ce faubourg ? Les usages sont innombrables.
Un jeu a même été conçu sur cette base : vous êtes téléporté quelque part, n'importe où dans le monde, et vous n'avez que les photos de rue pour trouver où, au km près. À vous de déchiffrer les panneaux en cyrillique, observer la peinture des routes pour découvrir en 2 minutes si l'asphalte chaud du désert où vous vous trouvez est australien ou étatsunien.
Des déserts à l'Antarctique, le petit bonhomme orange vous permet d'explorer la planète entière... ou presque
Agence de voyage numérique, ou agence publicitaire ?
Cette merveille est pourtant la propriété de Google. Une géante base de données sur laquelle de nombreux algorithmes opèrent pour améliorer google maps, dans un but principal : avoir les meilleures cartes numériques du monde, pour y vendre des annonces. Comme TF1, Google entre deux captivantes productions, vend aux annonceurs de publicité votre temps de cerveau disponible, les publicités sur Google Maps étant bien plus discrètes, certains diront insidieuses, que sur Google--le moteur de recherche.
Bien sûr, il y a une part de rêve, d'exploration magique dans la vision de Google via son trio Maps-StreetView-Earth, mais c'est in fine à ses actionnaires que la société doit répondre : Google est avant tout une régie publicitaire.
À chacun son milliard de photos de rue
Street View, et ses débouchées financières, ont évidemment fait des envieux. Dans nos rues passent également des voitures Microsoft Bing, Mappy, Mapillary (racheté par Facebook), et une ribambelle d'autres acteurs.
Mappy, le Google Maps français (pour le meilleur et pour le pire), a son propre Street View nommé Urban Dive. Nous y avons trouvé Brest (ici son pont iconique et son chateau fort), et le centre de Quimper, mais il se fait rare dès que l'on quitte les grandes villes.
Apple via ses Plans et son Look Around est probablement le prétendant le plus sérieux pour détrôner Google Maps et Street View : qui d'autre que le grand concurrent d'Android pouvait espérer attaquer Google ? Sans OpenStreetMap, qui d'autre qu'une société aux milliers de milliards de trésorerie peut comme Google acheter des entreprises de cartographie en série pour y arriver ?
Revenons sur le terrain français, où rodent maintenant les voitures LAPI qui mitraillent de PV les automobilistes faisant mine d'ignorer le coût de chaque m2 en ville : rien ne les empêche de vendre les photos 360° qu'elles capturent en continu.
Sans oublier les prestataires mandatés par les collectivités locales qui ont besoin de ces photos par exemple pour prioriser l'entretien de la voirie. Plus de photos de rue, moins de nids de poule.
Il va sans dire que ce ballet de voitures bardées d'appareils photos ultra-haute définition et les nombreux litres de pétrole (ou les précieux kWh électriques) qu'elles consomment ne représentent pas grand chose par rapport aux 10 000 km annuels au compteur de l'automobiliste Français moyen... il n'empêche : n'est-il pas temps de mutualiser ce besoin élémentaire ?
Un milliard de photos pour tout un chacun
Car plus les paparazzis de rue sur roues sont nombreux, plus leurs photos semblent devenir une commodité, un produit de base auquel tout le monde s'est habitué et qui devient central pour beaucoup d'acteurs divers.
Gardons pourtant bien en tête que si la consultation des photos Street View est gratuite pour le client des pubs Google Maps ehrm, le citoyen, il n'en va pas du tout de même pour les entreprises, les organisations, et même la recherche. C'est là que débarque Panoramax.
Cocorico !
Derrière ces millions de km parcourus avec du matériel high-tech et couteux, il y a toute une infrastructure technique de stockage, de traitement, de mise à disposition des photos, que chaque acteur, du géant Apple, à la Zambie qui ne semble pas trop intéresser les Google cars (ou qui leur a dit non, comme l'Allemagne l'a fait pendant longtemps avant de céder l'année dernière)... jusqu'à la communauté de commune Enclave des Papes-Pays de Grignan devrait mettre en place et entretenir : on parle là de plusieurs ingénieurs, donc plus de 100 000 €.
Depuis 2022, toute cette infrastructure est mise en commun, développée une bonne fois pour toutes par une alliance entre l'IGN et l'association OpenStreetMap France : Panoramax est né. La France met à disposition du monde les premières briques de sa bibliothèque nationale de fabrication.
Mi-2023, le million de photos est atteint. Courant 2024, 14 millions. À la fin de l'été 2024, 31 millions, et 500 contributeurs.
Car Panoramax, c'est aussi un produit d'astucieux bidouilleurs, hackers en anglais, qui comme Wikipedia et OpenStreetMap, démocratise la cartographie photographique en faisant tendre son coût vers zéro : une GoPro d'occasion, un elastique, et c'est parti !
Intégrer Panoramax, un jeu d'enfant
Depuis le 1er septembre 2024, les photos de rue Panoramax sont intégrées nativement sur Cartes.
Il n'a fallu qu'une ou deux journées de travail à un développeur bénévole non familier avec leur infrastructure pour l'intégrer. Cartes est entièrement libre, les 3000 lignes de code posées à l'occasion, n'importe qui peut les réutiliser tant qu'il rétribue ses améliorations à la communauté. Gagnant-gagnant.
Sur Cartes, seules les photos en 360° ont été intégrées, pour assurer une expérience confortable
Bien sûr, seules certaines métropoles sont disponibles pour l'instant. Qu'on soit Apple ou l'État français, il est inévitable d'avancer étape par étape. Des métropoles comme Strasbourg ont déjà cartographié l'intégralité de la ville. La région Bretagne a pris en photo l'ensemble de ses canaux, notamment en bateau.
Mieux : des centaines de millions de photos 360° dorment sur les serveurs des collectivités qui font flasher leurs rues chaque année et qui devront, c'est la loi, les rendre publiques. La Loi pour une République Numérique a en effet établi un principe simple : argent public, données publiques.
Un rêve réalisé, ou une fuite en avant ?
En prenant un peu de largeur de vue, on pourrait se poser la question suivante : a-t-on vraiment besoin de photographier toutes les rues de France ? N'est-ce pas une furieuse envie de contrôle, un fantasme d'omniscience divine qui apporte son lot de désenchantement ?
C'est une vision philosophique qui se défend tout à fait, mais qui se heurte à la dure réalité suivante : là, en ce moment même, de nombreuses voitures (des dizaines ? des centaines ?) cartographient la France pour des intérêts privés, auxquels nous n'avons pas eu le courage de dire non. Si l'on désire un jour encadrer ou ralentir cette possibilité technique, il sera stratégiquement plus facile de le faire si un commun existe.
Des photos de rue souveraines et publiques, cela permet à n'importe quel citoyen d'explorer une ville sans dépendre de Google, c'est déjà pas mal, à défaut de remettre en question l'existence même de ce luxe moderne. Plutôt que de lancer un nième programme identique, chaque nouvel acteur pourra à la place intégrer Panoramax, comme cela a été fait facilement sur Cartes.app.
Petit charme de Panoramax : souvent on peut voir le véhicule qui a capté les photos Panoramax, ici le camion des pompiers du Hérault.
Les services rendus par ces photos libres et contributives ne font que commencer ! Les pompiers ont déjà utilisé Panoramax pour cartographier les accès des massifs forestiers en risque pour mieux y intervenir. Les métropoles utilisent Panoramax pour étudier et prioriser les besoins d'intervention sur la voirie, la signalisation routière.
Enfin, il se pourrait bien qu'on tienne là une manne d'utilisations bien concrètes et utiles pour l'IA.
Tester Panoramax sur Cartes.app
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